«Accepter de perdre nos enfants» : pourquoi les propos du chef de l’armée ont déclenché une polémique ? - «Accept losing our youth» : Why the French army chief’s remarks sparked a controversy? (Level C1-C2)
Voici quelques expressions et mots de l'article à connaître qui vous permettront d'enrichir votre vocabulaire :
Si notre pays flanche : If our country falters
Une polémique : a controversy
Depuis près de quatre-vingts ans : For nearly eighty years
comme un acquis : as a given
a fissuré cette certitude : has cracked that certainty
a mis (mettre) le feu aux poudres : set off a firestorm
se croit à l’abri : feels safe
malvenu : inappropriate / ill-timed
l’avalanche (une) de critiques : cascade of criticism
ce genre de propos : such statements
Autrement dit : In other words
tranche nettement : is unequivocal
un réel pouvoir de nuisance : a real capacity for disruption
passent à côté de l’essentiel : miss the point
à nouveau frapper l’Europe : once again strike Europe
vaut-il mieux s’offusquer des mots : Is it better to be shocked by the wording
Le nouveau chef d’état-major des Armées, Fabien Mandon, a déclaré :
« Si notre pays flanche parce qu’il n’est pas prêt à accepter de perdre ses enfants, parce qu’il faut dire les choses, de souffrir économiquement parce que les priorités iront à de la production de défense, par exemple, si on n’est pas prêt à ça alors on est en risque. »
Pourquoi une telle polémique ?
Depuis près de quatre-vingts ans, l’Europe avance dans un long couloir de paix. Une paix si stable, si confortable, que beaucoup de Français la considèrent comme un acquis — presque comme un droit naturel.
Mais le retour brutal de la guerre en Europe, avec l’invasion de l’Ukraine par la Russie, a fissuré cette certitude. Pour la première fois depuis des décennies, l’idée d’un conflit majeur sur le continent n’appartient plus seulement aux manuels d’histoire.
C’est dans ce contexte tendu que le chef d’état-major des armées, a prononcé une phrase qui a mis le feu aux poudres.
Une phrase choc qui secoue le débat public
En déclarant que la France devait être prête à « accepter de perdre ses enfants » et à « souffrir économiquement » en cas de conflit majeur, Fabien Mandon voulait lancer un avertissement : un pays qui se croit à l’abri est un pays vulnérable.
Pour certains, c’est un constat lucide.
Pour d’autres, un discours brutal, presque insoutenable — et surtout, malvenu dans une période électorale et sociale déjà tendue.
D’où l’avalanche de critiques :
• la formulation, jugée choquante,
• un ton trop guerrier,
• un discours qualifié d’alarmiste,
• et une question sensible : un chef militaire doit-il tenir publiquement ce genre de propos ?
“Allons enfants de la patrie” : la perplexité de Sylvie Kauffmann
Dans L’Esprit public sur France Culture, la journaliste Sylvie Kauffmann s’est dite étonnée de la violence de la réaction. Elle rappelle que les premiers mots de l’hymne national français sont :
« Allons enfants de la patrie… »
Autrement dit, l’appel à la mobilisation citoyenne fait partie de l’histoire profonde de la France.
Si cette phrase choque aujourd’hui, c’est peut-être parce que le pays vit depuis trois générations dans une paix telle que la notion même de sacrifice national est devenue impensable.
“Retourner à l’avant-2022 est une illusion” : l’analyse d’Amélie Férey
La chercheuse Amélie Férey (Centre des études de sécurité) tranche nettement : croire que l’Europe peut revenir au monde d’avant 2022 est une illusion.
Selon elle, la Russie mène aujourd’hui une guerre hybride contre l’Europe :
• actions immatérielles (influence, cyberattaques, déstabilisation sur les réseaux sociaux),
• incidents matériels sous le seuil du conflit déclaré, comme l’incursion de drones russes dans l’espace aérien polonais en septembre 2025.
Ce ne sont pas des actes spectaculaires, mais leur répétition crée une pression continue et un réel pouvoir de nuisance.
Dans ce contexte, dit-elle, les polémiques autour des propos de Fabien Mandon— ou autour de l’idée d’un service national volontaire évoqué par Emmanuel Macron — passent à côté de l’essentiel :
la France n’est pas seule. C’est toute l’Europe qui se réarme.
Elle cite notamment :
• le plan européen “Rearm Europe” de 800 milliards d’euros,
• la création d’un commissaire européen à la Défense,
• un mouvement collectif de renforcement militaire à l’échelle du continent.
Et elle rappelle une maxime enseignée à l’École de guerre Terre :
« Si vis pacem, para bellum » — “Si tu veux la paix, prépare la guerre”.
Alors… pourquoi une telle polémique ?
Parce que cette phrase touche à un tabou français :
l’idée qu’un conflit majeur pourrait à nouveau frapper l’Europe — et que personne n’est totalement prêt à y croire.
Parce qu’elle réveille un confort installé depuis 80 ans.
Parce qu’elle oblige à imaginer un futur que tout le monde préfère refuser.
Parce qu’elle rappelle que la paix n’est pas un décor permanent, mais une construction fragile, qui demande un effort collectif.
Alors que la Russie mène une guerre de haute intensité en Ukraine et une guerre hybride contre l’Europe, le débat sur la légitimité des propos du chef d’état-major pose une question dérangeante :
vaut-il mieux s’offusquer des mots, ou regarder en face la réalité stratégique qui les motive ?
TRADUCTION :
French Defense: Why Chief of the Defense Staff’s Remarks Sparked a Political Storm
French Chief of the Defense Staff, Fabien Mandon, declared:
“If our country falters because it is not ready to accept losing its children — because things must be said — to suffer economically because priorities will shift to defense production, then we are at risk.”
Why such an uproar?
For nearly eighty years, Europe has been moving through a long corridor of peace. A peace so stable, so comfortable, that many French people now see it as a given — almost a natural right.
But the brutal return of war to Europe, with Russia’s invasion of Ukraine, has cracked that certainty. For the first time in decades, the idea of a major conflict on the continent no longer belongs solely to history books.
It is in this tense context that Fabien Mandon made a remark that immediately set off a firestorm.
A shock statement shaking the public debate
By saying that France must be prepared to “accept losing its children” and to “suffer economically” in the event of a major conflict, Mandon meant to issue a warning: a country that believes itself safe is a vulnerable country.
For some, it is a lucid assessment.
For others, it is a brutal, almost unbearable message — and one particularly ill-timed in a politically and socially strained moment.
Hence the cascade of criticism:
• wording deemed shocking,
• a tone seen as overly militaristic,
• a message labelled alarmist,
• and a sensitive question: should a military leader make such statements publicly?
“Allons enfants de la patrie”: Sylvie Kauffmann’s perplexity
On L’Esprit public (France Culture), journalist Sylvie Kauffmann expressed surprise at the intensity of the backlash.
She reminded listeners that the first words of the French national anthem are:
“Allons enfants de la patrie…” — “Arise, children of the homeland…”
In other words, the call to citizen mobilization is deeply rooted in French history.
If such a phrase shocks today, she argues, it may be because the country has lived in peace for three generations — enough for the very notion of national sacrifice to become unthinkable.
“Returning to the pre-2022 world is an illusion”: Amélie Férey’s analysis
Researcher Amélie Férey (Center for Security Studies) is unequivocal: believing Europe can return to the pre-2022 geopolitical landscape is an illusion.
According to her, Russia is currently conducting a hybrid war against Europe, combining:
• non-material actions (influence operations, cyberattacks, online destabilization),
• material incidents below the threshold of open conflict, such as the incursion of Russian drones into Polish airspace in September 2025.
These acts are not spectacular, she explains, but their repetition creates constant pressure and a real capacity for disruption.
In this context, she argues, the controversies surrounding Chief of the Defense Staff’s comments — or around President Macron’s proposal for a voluntary national service — miss the point:
France is not alone. All of Europe is rearming.
She cites, among other developments:
• the €800-billion European “Rearm Europe” plan,
• the creation of a European Commissioner for Defense,
• a broader continental movement toward strengthening military capabilities.
And she recalls a maxim taught at the French Army War College:
“Si vis pacem, para bellum” — “If you want peace, prepare for war.”
So… why such a controversy?
Because Mandon’s statement touches a deep French taboo:
the possibility that a major conflict could once again strike Europe — and that society may not be ready to accept it.
Because it disrupts the comfort accumulated over eighty years.
Because it forces the imagination toward a future most people prefer not to envision.
Because it reminds everyone that peace is not a permanent backdrop, but a fragile construction requiring collective effort.
At a time when Russia is waging a high-intensity war in Ukraine and a hybrid war against Europe, the debate over the appropriateness of the Chief of Defence Staff’s words raises an uncomfortable question:
Is it better to be shocked by the wording, or to confront the strategic reality behind it?